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« Dämon. El funeral de Bergman », au Festival d’Avignon : le don de soi vengeur d’Angelica Liddell

La puissance, l’irrévérence et la liberté. Tout ce qui fait la marque Angelica Liddell était au rendez-vous du premier jour du Festival d’Avignon, samedi 29 juin, dans la Cour d’honneur du Palais des Papes. La liberté de création de la performeuse espagnole, on en a pris la mesure avec son nouveau spectacle, Dämon. El funeral de Bergman. Et comment, lorsqu’elle exerce sans réserve ni filtre, elle défie et menace la liberté de la critique. A l’issue d’une représentation dont le contenu des premières minutes n’était connu que de l’équipe de création – la direction du Festival a découvert les faits sur place –, chacun a pris la mesure du piège tendu par Liddell lors d’un happening qui a laissé l’assistance incrédule.
Ouvrant un chapitre dit des « humiliations », elle cite des extraits d’articles de presse négatifs, écrits sur elle par des critiques de théâtre. Parmi ceux-ci, Armelle Héliot, du Figaro, Philippe Lançon, de Libération, Stéphane Capron, de France Inter, et Fabienne Darge, notre consœur du Monde. Liddell tourne alors le dos aux gradins, lit les lignes des critiques et conclut, en les interpellant : « Où es-tu, Armelle ? Où es-tu, Philippe ? » Jouant sur l’homophonie relative du français (« capron ») et de l’espagnol (cabron), elle dérape dans l’injure : « Raclure… » Quand vient le tour de Fabienne Darge, elle n’ajoute pas un mot, mais montre ses fesses au public. Le geste est d’une totale grossièreté.
L’insulte est accomplie avec une désinvolture inexcusable. Telle est la réplique d’Angelica Liddell à ceux qui, selon elle, n’auraient pas été au niveau de son art. Cette affirmation de sa toute-puissance d’autrice et de metteuse en scène a quelque chose d’un suicide professionnel. Pourquoi continuer à écrire sur quelqu’un qui vous lynche en direct ? Pour sa part, elle n’en démordra pas : sur le plateau, le créateur fait ce qu’il veut, quel que soit le prix à payer. Contacté par Le Monde, Tiago Rodrigues, directeur du Festival, dit ne pas voir « d’incompatibilité » entre liberté de création et liberté de la presse. « Elle s’inspire de la pensée de Bergman, qui avait un rapport violent à la critique de cinéma. Ce geste poétique peut troubler, mais le Festival n’a pas à interférer avec l’intégrité des œuvres. »
Angelica Liddell a donc frappé un grand coup. De ceux qui, aux forceps, rappellent au public que, face à lui, se trouve une créatrice inaliénable. Le malaise est sensible, mais on se doutait que l’Espagnole, programmée pour la première fois dans la Cour d’honneur, se hisserait à la hauteur d’un lieu convoité par beaucoup mais rarement si bien servi. Son pro domo pour l’art pèse son poids d’intransigeance et son comptant de vitriol. La performeuse, invitée depuis 2009 au Festival, y prend régulièrement à partie l’amour, la sexualité, la maternité, les intermittents et, cette fois, la vieillesse physique, mentale et morale, sujet de son abjection du moment.
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